
MOLECULES ANESTHÉSIQUES
ET ANALGÉSIQUES
ALPHA 2 AGONISTE
LES OPIOACÉS : FICHE GÉNÉRALE
MÉCANISME D'ACTION DES OPIACÉS
Les divers effets des opiacés proviennent de leur activité sur les différents récepteurs opiacés présents dans le système nerveux central, mais aussi dans le système nerveux périphérique (ganglions, nerfs périphériques).
Trois classes de récepteurs opiacés sont à présent bien connues : la classe µ, δ et κ. Ces récepteurs diffèrent dans leur activité, leurs propriétés et leur distribution dans l’organisme, mais ils partagent cependant tous un même mécanisme d’action. Ils sont couplés avec une protéine G qui entraîne une inhibition de l’ouverture des canaux calciques voltage-dépendants présynaptiques et des canaux ioniques potassiques post-synaptiques. En conséquence, la libération des neurotransmetteurs est réduite (canaux Ca2+) et/ou les membranes post-synaptiques sont dans un état d’hyperpolarisation (canaux K+) : une diminution de la propagation des potentiels d’actions et donc une diminution de la nociception survient, liée à une baisse générale de l’activité neuronale.
ROLE DES RÉCEPTEURS µ, κ ET δ
La majorité des opiacés analgésiques sont des agonistes des récepteurs μ. Ces récepteurs µ sont responsables de la plupart des effets analgésiques des opiacés et de certains effets indésirables majeurs (par exemple dépression respiratoire, euphorie, sédation et dépendance).
Les récepteurs κ contribuent à l'analgésie au niveau de la colonne vertébrale et peuvent provoquer une sédation, une dysphorie et des hallucinations. Certains analgésiques sont des agonistes κ mixtes / antagonistes μ.
L'activation des récepteurs δ entraîne elle aussi une analgésie, cependant cette activation peut également être proconvulsivante. En dehors de la morphine, les opiacés utilisés en médecine vétérinaire ne sont pas des agonistes des récepteurs δ.
Le tableau ci-joint résume les différents rôles de ces récepteurs :

Tableau 1 : Effets fonctionnels associés aux principaux types de récepteurs opiacés d’après (Ritter et al., 2011)
CLASSIFICATIONS DES OPIOÏDES
Les molécules dites opioïdes varient non seulement dans leur spécificité vis-à-vis de ces trois différents récepteurs, mais aussi dans leur efficacité vis-à-vis de ces derniers. Ainsi, certains agents agissent comme des agonistes ou agonistes partiels sur un type de récepteur, et comme des antagonistes ou agonistes partiels sur un autre. ils entraînent donc des effets variables en raison de cette variabilité pharmacodynamique.
Quatre grandes catégories pharmacologiques sont reconnues :
-Les agonistes complets : ils ont une forte affinité et activité intrinsèque pour les récepteurs µ, et une généralement plus faible pour les sites δ et κ. Parmi celles-ci, on retrouve la morphine, la méthadone, le fentanyl, hydromorphone, sufentanil, alfentanil, remifentanil, et la codéine. Les agonistes des récepteurs µ produisent l’analgésie la plus profonde et sont donc recommandés pour les douleurs modérées à sévères.
-Les agonistes partiels comme la buprénorphine n’ont pas une activité intrinsèque totale vis-à-vis des récepteurs µ. Ces molécules sont recommandées pour les douleurs légères à modérées et dans le cadre d’interventions chirurgicales mineures.
-Les agonistes-antagonistes : ces médicaments comme le butorphanol combinent un degré d'activité agoniste κ et une activité antagoniste µ. La plupart des médicaments de ce groupe ont tendance à provoquer une dysphorie plutôt qu'une euphorie, probablement en agissant sur le récepteur κ, et procurent très peu d’analgésie. Néanmoins, leur effet sédatif les rend particulièrement intéressants pour induire une tranquillisation lors de manipulation non douloureuse (positionnement en radiologie par exemple).
-Les antagonistes : ces médicaments bloquent les effets des opiacés. Ils présentent en effet une grande affinité pour les récepteurs opiacés, mais une activité intrinsèque quasi nulle. Les principales molécules sont la naloxone et la naltrexone.
Ci-joint un tableau résumant les récepteurs ciblés par les principales molécules employées en médecine vétérinaire :

Tableau 2 : sélectivité pour les différents récepteurs opiacés des principales molécules employées en médecine vétérinaire d’après (Ritter et al., 2011)
MOLECULE ANTAGONISTE
La naloxone est un antagoniste complet des récepteurs opiacés µ et κ. Elle peut être utilisée pour reverser les effets des agonistes µ complets ou des agonistes-antagonistes mixtes, car elle présente une plus forte affinité pour les récepteurs µ et κ que ces derniers. Néanmoins, des doses élevées de naloxone (30 μg / kg) sont nécessaires pour inverser efficacement la buprénorphine car la buprénorphine possède une grande affinité pour le récepteur µ.
La naloxone doit être administrée lentement par petites doses intraveineuses. Le but est d'inverser les effets dépresseurs comportementaux ou respiratoires de l'opioïde sans supprimer l'ensemble des effets analgésique. La naloxone a un délai d'action rapide (1 à 2 minutes), ce qui permet de l’injecter à effet. Elle peut également être administré par voie intramusculaire si nécessaire.
Son action dure entre 30 à 60 minutes. Par conséquent, lorsque la naloxone a été utilisé pour supprimer les effets d’un agoniste mu à action prolongée, il est important de surveiller l'animal afin de détecter des signes cliniques de renarcotisation (Dyson et al., 1990).
EFFETS PHARMACOLOGIQUES NOTABLES

EFFET ANALGÉSIQUE
Les opiacés agonistes µ soulagent la plupart des douleurs aiguës et chroniques, notamment les douleurs associées à une lésion tissulaire, une inflammation ou processus tumoral. Une efficacité moindre des opiacés sur les douleurs neuropathiques est observée.
En plus d'être anti-nociceptive, les opiacés réduisent également la composante affective de la douleur. Ceci est lié à une action supra-rachidienne, supposé au niveau du système limbique impliqué probablement dans l'effet d'euphorie.
Chez le rat et chez l’Homme, une exposition prolongée aux opiacés induit paradoxalement un état d'hyperalgésie, qui se traduit par une forte sensibilisation à la douleur et/ou une allodynie (Chu et al., 2008).
Cette hyperalgésie semble avoir des composantes périphériques, spinales et supra-spinales. Au niveau cellulaire, les mécanismes sous-jacents à ce phénomène sont encore peu clairs, mais impliquent l'activation secondaires des récepteurs NMDA. L'hyperalgésie induite par les opiacés peut donc être réduite par les antagonistes NMDA comme la kétamine (cf fiche kétamine) ou la méthadone.
Néanmoins, chez le chien ou le chat, aucune étude n’a mis en évidence cet état d’hyperalgésie (Ruíz-López et al., 2020)
EFFET EUPHORIQUE / DYSPOHORIQUE

La morphine provoque un puissant sentiment de bien-être, nommé l’euphorie. Elle a son importance clinique, car l'agitation et l'anxiété associées à une maladie ou à une blessure douloureuse diminuent grâce à cet effet.
L'euphorie est médiée par les récepteurs μ tandis que l'activation des récepteurs κ peut produire une dysphorie et des hallucinations (voir le tableau 1). Ainsi, l'effet euphorique provoqué par les différents opiacés peut varier considérablement d'une molécule à l'autre.
Chez les chiens, l’euphorie est décrite comme un éveil excessif et une vocalisation tandis que chez les chats, elle se caractérise par un animal se roulant sur lui-même, du toilettage, du « pétrissage » et de l’affection.
La dysphorie chez le chien est décrite comme de l’agitation, de l’excitation, une vocalisation excessive et une désorientation : elle peut donc être confondue avec une euphorie. Chez les chats, un comportement craintif, une respiration gueule ouverte, de l’agitation, de la vocalisation, des stimulations et hallucinations peuvent être observées lors de celle-ci.
Ces comportements peuvent être limités en associant aux opiacés des sédatifs.

EFFET SUR LE
SYSTÈME
CARDIOVASCULAIRE
Suite à l'injection d'agonistes µ complets à des doses analgésiques, une diminution de la fréquence cardiaque secondairement à une augmentation du tonus vagal peut survenir (Reitan et al., 1978). Si cet agoniste µ complet est utilisé seul, il est rarement nécessaire de traiter cette bradycardie, cependant si l’usage d’un anesthésique volatil s’ensuit, l’administration d’un anticholinergique pour corriger cette bradycardie peut être nécessaire pour améliorer l’hémodynamique de l’animal.

EFFET SUR LE SYSTÈME
RESPIRATOIRE
Les opiacés diminuent de façon dose-dépendante la réponse des centres respiratoires bulbaires aux stimuli hypoxémiques et hypercapniques (Pattinson, 2008). La dépression respiratoire est médiée par les récepteurs μ, et de ce fait, elle est indissociable de l’effet analgésique (Gavériaux-Ruff et Kieffer, 2002). La dépression respiratoire est la cause principale de décès lors des intoxications aux opiacés et représente le principal effet secondaire associé à leur utilisation en clinique.
Cette dépression respiratoire doit être de plus particulièrement attendue lorsque l’administration d’opiacés est jointe avec d’autres dépresseurs du système nerveux central, comme les anesthésiques volatils ou chez des animaux présentant déjà des difficultés respiratoires, notamment chez les brachycéphales. Il est donc important de surveiller les signes d’apnées et de dépression respiratoire chez le patient, surtout quand une administration rapide par voie intraveineuse est réalisée.
Néanmoins, chez des animaux sans anomalie respiratoire, il est rare d’observer une dépression respiratoire aux doses recommandées cliniquement.
Un changement dans la fréquence respiratoire peut être observé suite à l’administration d’opioïde. Chez les chiens, une polypnée survient, conséquence d'une diminution de la température de référence au niveau du système thermorégulateur central. Chez le chat, la dysphorie cause une respiration gueule ouverte.
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Dépression du réflexe de toux
La suppression de la toux n'est pas étroitement corrélée avec les actions analgésiques et dépresseurs respiratoires des opiacés, et son mécanisme au niveau des récepteurs n'est pas encore clair mais semble impliquer des récepteurs spécifiques. Le butorphanol ou la codéine sont des molécules pouvant être utilisées en médecine vétérinaire pour supprimer la toux.
EFFET SUR LE SYSTÈME DIGESTIF


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Nausée et vomissements :
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Constipation :
Les effets vomitifs des opiacés dépendent de la molécule injectée, de la dose et de la voie d’administration. Chez des animaux non douloureux, des vomissements et des défécations sont fréquents après l’administration de morphine et, plus rarement, de méthadone. De plus, chez le chat non douloureux, une salivation excessive et des vomissements peuvent être observés suite à une injection sous-cutanée de morphine.
Chez l’animal douloureux, ces effets secondaires sont plus rares.
Ces phénomènes sont indissociables de l’analgésie, puisque l’activation des récepteurs µ provoque une stimulation des récepteurs dopaminergiques se trouvant dans la CTZ (chémorécepteur trigger zone), le centre du vomissement.
L’usage de de maropitant à la dose de 1 mg/kg par voie S.C. chez les chiens 15-60 minutes avant l’usage de morphine, et de façon moins efficace, d’acépromazine à la dose de 0,05 mg/kg par voie I.M. 15 minutes avant l’usage de morphine réduit l’incidence des vomissements (Koh et al., 2014)
La morphine diminue le temps de vidange de l’estomac ainsi que le péristaltisme intestinal. Le temps de transit du bol alimentaire dans l’intestin grêle se retrouve augmenté (Stein, 2016). Si une déjection immédiate suite à l’injection de morphine peut survenir, l’administration sur le long terme de celle-ci, et en moindre mesure de l’ensemble des opiacés, entraîne une constipation.

EFFET SUR LE TRACTUS BILIAIRE
L’injection de morphine entraîne une augmentation de la pression dans les voies biliaires, en raison d’une contraction de la vésicule biliaire et d’une constriction accrue du sphincter biliaire (Vatashsky et al., 1984). Les opioïdes doivent donc être évités chez les animaux souffrant de calculs biliaires, chez qui la douleur peut être augmentée plutôt que soulagée.

EFFET OCULAIRE
Les µ agonistes entraînent un myosis chez les chiens, liés à une action excitatrice sur les noyaux viscéraux du complexe nucléaire oculomoteur. (Lee et Wang, 1975).
Chez le chat, cependant, une mydriase survient, liée à une libération de catécholamines par les glandes surrénales (Wallenstein et Wang, 1979)

EFFET SUR LE TRACTUS URINAIRE
Les µ agonistes augmentent le tonus du sphincter urétral et inhibent le réflexe de vidange. Ils inhibent de plus la sécrétion d’ADH.

EFFET SUR LA
THERMORÉGULATION
Chez les chats, une hyperthermie post opératoire dû aux opiacés peut survenir. Un contrôle de la température post opératoire après usage d’opiacés est donc recommandé.
Une hypothermie sera plutôt observée chez le chien.